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INTERVIEW – Scientifiques, médecins et industriels se penchent actuellement sur comment décontaminer les masques chirurgicaux et FFP2 afin de les réutiliser. Laurence Le Coq, enseignante-chercheuse à IMT Atlantique, participe à ce projet.

La France, comme de nombreux pays, est confrontée à une pénurie de masques sanitaires, qui ont un inconvénient majeur: une durée de vie très limitée. Jusqu’à présent, aucune méthode éliminant efficacement la menace virale tout en préservant l’intégrité de cette protection n’a été unanimement approuvée. Mais face au Covid-19, le temps presse. C’est pourquoi des scientifiques, médecins et industriels français unissent leur force pour explorer les pistes permettant de réutiliser les masques sans risque. Laurence Le Coq, enseignante-chercheuse et directrice de recherche à IMT Atlantique, fait partie du consortium.

Quelle est la durée de vie d’un masque sanitaire?

LAURENCE LE COQ – En milieu hospitalier, un masque chirurgical peut être utilisé jusqu’à 4 heures. Pour les masques de protection respiratoire de type FFP2, on peut aller jusqu’à 8h d’affilée maximum, mais à partir du moment où on l’enlève, ce temps est réduit.

Comment la France travaille-t-elle sur cette question de recyclage?

Un consortium a été mis en place mi-mars, à l’initiative du CHU de Grenoble. Le CNRS et le CEA (Commissariat à l’énergie atomique) ont décidé de mettre en place une task-force interdisciplinaire qui regroupe environ 17 laboratoires ou industriels dans toute la France. Médecins hygiénistes, virologues, spécialistes des matériaux et des procédés de filtration: chacun partage ses compétences dans son domaine respectif, on met en commun des publications scientifiques, on se met d’accord pour investiguer tel ou tel traitement. On s’envoie des échantillons, on partage les résultats.

Quels sont vos objectifs?

On regarde trois choses: d’abord si le traitement testé permet de se débarrasser du virus mais aussi des autres micro-organismes que l’on peut trouver en milieu hospitalier, comme les bactéries. Une fois les masques traités en laboratoire, on va évaluer leur performance: d’une part si l’intégrité de la structure n’est pas altérée, si les fibres sont de bon maintien, s’il est respirable ; d’autre part s’il a conservé ses performances de filtration pour rester efficace et bien protéger des micro-organismes dans l’air. On doit aussi tester le nombre de traitements possibles: recycler une fois d’accord, mais peut-on le faire deux, trois fois?

Avez-vous des contacts avec d’autres chercheurs à l’étranger?

Nous sommes en contact avec des équipes suisses et belges, mais également avec les États-Unis, qui ont aussi monté leur consortium dans ce domaine (des dizaines de scientifiques et ingénieurs ont en outre créé un site, N95decon.org, accessible à tous, qui synthétise la littérature scientifique dans ce domaine, NDLR). Notre consortium interdisciplinaire a aussi rejoint la «task force» internationale «ReUse» avec laquelle les résultats seront partagés.

Certains traitements ont-ils déjà montré leur efficacité?

Les différentes techniques testées ont des avantages et des inconvénients. Certaines sont très simples, comme le lavage au détergent ou l’utilisation de la chaleur sèche. Pour le masque chirurgical, la technique de chaleur sèche – au-dessus de 100 degrés – semble montrer son efficacité en maintenant une bonne tenue du masque, sans modifier grandement ses performances de filtration (de l’ordre de – 2%). La norme européenne, qui est très protectrice, exige qu’il faut arrêter 98% de particules d’une certaine taille. Nous avons également de très bons résultats avec la stérilisation en autoclave (un procédé déjà utilisé en milieu hospitalier qui permet de produire de la chaleur humide sous pression). Les irradiations aux rayons gamma ou beta présentent aussi des résultats intéressants pour les masques chirurgicaux, moins pour les FFP2.

Et pour les FFP2 justement?

Pour ces masques-là, la chaleur sèche est une solution qui ne semble pas modifier sensiblement les performances. Il faut savoir qu’une autre option intéressante pour confectionner de nouveaux masques est à l’étude: l’utilisation du SMS («Spunbound-Metblown-Spunbound»), un matériau employé pour l’emballage et le maintien de la stérilité des instruments chirurgicaux. Celui-ci possède des propriétés barrières intéressantes contre les micro-organismes.

Ces techniques sont-elles faciles à mettre en œuvre, à grande échelle et à court terme?

C’est bien sûr l’un des aspects sur lesquels nous travaillons. Ces techniques de recyclages peuvent être réalisées par des équipes médicales sur place avec des dispositifs qui existent déjà en milieu hospitalier, comme les autoclaves. Avec ce système et le respect d’un protocole bien précis, les hôpitaux pourraient recycler leurs masques eux-mêmes assez rapidement. On peut aussi imaginer la mise en place d’une filière spécifique de collecte, décontamination et redistribution, qui serait par exemple nécessaire avec des techniques utilisant des irradiations par rayons gamma et beta, impliquant par exemple les acteurs du domaine du nucléaire.

Quelles sont les prochaines étapes?

Le dossier regroupant l’ensemble de nos préconisations est en cours de préparation. Il nécessite de poursuivre nos essais pour confirmer ces premiers résultats, avant d’être déposé à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui devra donner son aval. Nous mettons tous nos efforts pour que des solutions puissent être confirmées dans un horizon relativement court.

 

Source : Le Figaro