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La papeterie, installée près de Rouen et qui traitait la collecte du tri sélectif d’un tiers des Français, est à l’arrêt depuis septembre 2019. Son propriétaire, le groupe finlandais UPM, a décidé de la vendre à cause de l’érosion des ventes de papier recyclé pour les journaux.

« Quand j’arrive là, souvent, il y a toujours un petit peu d’émotion de ne plus avoir le bruit », confie Cyril Briffault, délégué CGT, l’un des trois derniers salariés présents sur le site de l’usine Chapelle Darblay, qui traitait la collecte du tri sélectif d’un tiers des Français, pour en faire du papier journal. Installée à Grand-Couronne, près de Rouen, en Seine-Maritime, l’immense papeterie est menacée d’être rasée : à partir du mercredi 30 juin, les machines peuvent être démontées par leur propriétaire, le groupe finlandais UPM. Ce dernier a décidé de vendre à cause de l’érosion des ventes de papier recyclé pour les journaux. La papeterie est à l’arrêt depuis septembre 2019 et près de 230 salariés ont déjà été licenciés.

Dans l’usine, un assourdissant silence

Aussi, lorsque la porte s’ouvre sur l’usine, elle apparait grande comme une cathédrale, figée dans le silence. « Normalement, il y a de 90 à 100 décibels minimum, ici, donc on parle beaucoup de gestes, indique Cyril Briffault. Le bruit que vous entendez actuellement, on ne l’entend normalement pas d’ordinaire, lorsque c’est en marche. » « Par exemple, poursuit-il en actionnant un puissant avertisseur sonore, ce klaxon que vous entendez était très étouffé par le bruit ambiant. Maintenant, on entend plus que ça et on se mettrait presque les oreilles dessus. »

Cyril Briffault opérait sur cette immense machine de 100 mètres de long. Ses gros rouleaux servaient à fabriquer du papier journal recyclé, à base de vieux journaux, de magazines ou de prospectus, récupérés grâce aux poubelles jaunes. « Le monstre mécanique que vous avez devant vous, décrit-il, c’est ce qu’on appelle la sécherie. Vous avez devant vous la dernière machine à papier en France à faire du papier journal 100% recyclé. »

« En France, il ne reste qu’une usine qui utilise encore un peu de papier recyclé, soupire Cyril Briffault. Le reste est envoyé en Allemagne ou en EspagneCette usine devrait être l’image de demain et on va la fermer au moment où on parle partout de transition économique et écologique. C’est la définition même de l’économie circulaire ! » Avec sa chemise blanche, Arnaud Dauxerre représentait les cadres de l’usine. « Dans une période où on parle de gâchis alimentaire, on peut aussi parler de gâchis industriel, déplore-t-il. Et ça, c’est du gâchis industriel. » « Chapelle Darblay a une responsabilité sociétale, poursuit-il. C’est au-delà du simple site de production industrielle. On est allés solliciter les collectivités locales pour organiser des collectes sélectives de papier de manière à pouvoir répondre à son besoin industriel. »

« Quand vous sollicitez des collectivités locales et que quelque part, vous vous inscrivez dans la notion de continuité de service public, de gestion des déchets, vous n’avez pas le droit moral et sociétal de fermer un site comme celui-ci. Vous avez le droit de le céder, de passer le témoin. Vous n’avez pas le droit de le fermer et de démanteler. » Arnaud Dauxerre , à franceinfo.

Pourtant, le propriétaire finlandais du site, le groupe UPM, veut arrêter les frais. Il a maintenu l’usine en état pendant un an, pour laisser du temps à la recherche d’un repreneur. Le fabriquant de carton belge VPK s’y est un moment intéressé, mais il a finalement choisi un site voisin, dans l’Eure. Une seule offre industrielle est sur la table, UPM ayant exclu une autre offre, seulement immobilière. Cette offre de reprise ferme, un projet de production d’hydrogène, sera examinée vendredi en CSE. C’en serait donc fini de la production de papier recyclé. L’usine actuelle serait donc démontée et rasée, explique UPM France, pour faire place à de nouvelles installations d’ici deux à quatre ans, avec la création de 70 emplois.

Les trois derniers salariés défendaient un autre projet. Ils ont travaillé dur pour construire une offre alternative, en partenariat avec Veolia, qui maintiendrait la production de papier recyclé à base de déchets. Mais il ne s’agirait plus seulement de papier journal, car le marché est en perte de vitesse. « Il n’y a pas que le papier journal, défend Julien Sénécal, secrétaire du CSE. Aujourd’hui, ce qui marche beaucoup en France, c’est le e-commerce. Quand vous achetez sur Internet, dans les cartons, il y a une couche que nous pourrions faire, ou encore de la ouate d’isolation. Il y a donc des choses d’avenir que nous pourrions réaliser. » Moyennant des investissements, les machines auraient ainsi pu fabriquer des cartons d’emballage et des matériaux d’isolation des bâtiments. Mais cette offre n’a pas été officiellement déposée et UPM ne veut plus payer pour le maintien de ce site de 33 hectares en état de marche.

Quand elle fonctionnait, l’usine avait signé 350 contrats de récupération de collecte de tri. Soit les poubelles jaunes de 25 millions de Français. Elle a absorbé jusqu’à 40% de la collecte du pays et des villes comme Le Havre, Paris ou Rouen y envoyaient leurs déchets papiers. En plus, cette usine était écologiquement très performante, elle recyclait pratiquement 100% des déchets reçus. Aucune autre unité industrielle en France n’arrive à ce niveau. Un véritable exemple d’économie circulaire, donc.

Depuis son bureau tout en boiseries, le maire de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol, espère que le gouvernement n’hésitera pas à interpeller directement la Finlande. « UPM est une très grande entreprise industrielle finlandaise, explique-t-il. La France a beaucoup d’intérêts en Finlande et la Finlande a beaucoup d’intérêts en France. Nous sommes tous les deux membres de l’Union européenne, donc on va pouvoir se parler et essayer de trouver des moyens d’avancer. Après, c’est le jeu diplomatique au niveau des chefs d’État et de gouvernement… »

Le gouvernement et même le président de la République ont promis de soutenir le site, mais pas de pérenniser l’activité recyclage de papier. Le ministère de l’Industrie reconnait que Chapelle Darblay est une perte. Et, depuis sa fermeture, les collectivités qui trient doivent envoyer leurs déchets dans d’autre usines, dans l’est de la France ou en Allemagne. Le transport des papiers du tri sélectif sur d’autres sites a, selon la CGT, nécessité un million de kilomètres supplémentaires effectués par des camions.