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Alors que le recyclage et la réutilisation de fibres recyclées peinent à démarrer en France, l’automatisation du tri offrirait une planche de salut à la filière textile à l’heure de la loi anti-gaspillage.

Depuis l’usine de Cours-la-Ville (Rhône) dans le Haut-Beaujolais, des modules de couleur crème attendent leur départ en camion. Laroche conçoit et produit des machines pour le recyclage de déchets textiles et les produits non tissés. « Nous fabriquons 70 lignes par an, une ligne pouvant compter jusqu’à 50 machines », indique François Chabat, le responsable de la gestion de production.

Là, les opérateurs assurent l’assemblage, la peinture, la soudure et la fabrication des cylindres avec la pose des pointes pour l’effilochage. Une opération laborieuse réalisée manuellement, mais la robotisation est en marche. Un jeune ingénieur a développé un process avec des robots Staübli qui sera opérationnel dès septembre. Actuellement, il faut cinquante heures pour équiper un cylindre. Avec la robotisation, cela demandera deux fois moins de temps, et zéro opérateur. Une aubaine, car ces machines pour le recyclage et l’effilochage du textile sont primordiales pour développer la filière.

Un savoir-faire perdu

Le Centre européen des textiles innovants (Ceti) se démène pour développer le recyclage et l’utilisation de fibres recyclées. Il travaille avec le constructeur belge Valvan, qui développe une machine capable de reconnaître la composition et la couleur du produit. Pour industrialiser, il faut des volumes et le projet européen Retex doit fédérer les gisements européens. Quelque 600 000 tonnes de vêtements, linge de maison et chaussures sont mises sur le marché en France, mais seules 250 000 tonnes sont collectées (38 %), selon l’éco-organisme Refashion.

Trier pour exporter

  • 248 547 tonnes de textile collecté, soit 38 % du tonnage mis sur le marché
  • 196 054 tonnes, soit 80 % des matières triées en France, sont exportées
  • 57,8 %, c’est la part de la collecte destinée à la réutilisation
  • 41,7 %, c’est la part de la collecte destinée au recyclage (33,5 %) et à la valorisation énergétique (8,2 %)

Source : Refashion, chiffres 2019

Le leader, Le Relais, récupère 120 000 tonnes par an. Une quinzaine de centres de tri permettent de traiter manuellement 90 000 à 95 000 tonnes. L’objectif fixé par les pouvoirs publics de 50 % de collecte n’est donc pas atteint, mais « augmenter le taux n’est pas une priorité, tant que l’on n’a pas réussi à industrialiser davantage le recyclage, met en garde Maud Hardy, la directrice de l’économie circulaire chez Refashion. Il y a malheureusement un vrai déficit de solutions en Europe. Tout part en Asie – le recyclage se fait en Inde et au Pakistan, l’effilochage en Chine – ou en Afrique pour la revente ». Seulement 5 % de la collecte sont revendus en France, 80 % sont exportés pour réutilisation ou recyclage. « Le recyclage en France est un savoir-faire perdu, regrette Hatem Sedkaoui, le président de Recykling and Second Hand, société de trading, collecte et gestion du textile. En France, on pratique le “fast tri”, sans classage. Il faudrait aller jusqu’à la chemise, homme, manches longues, couleur… »

Des technologies adaptées aux différentes fibres

Après le tri, « nous distinguons le réemploi du recyclage, précise Pierre Duponchel, le président-fondateur du Relais. Nos magasins Ding Fring permettent de valoriser 5 % de notre collecte mais assurent 25 % de notre chiffre d’affaires. Et 55 % de la collecte sont vendus dans l’océan Indien, au Moyen-Orient et en Afrique subsaharienne. Quand on ne sait pas quoi faire des vêtements, on opte pour le recyclage, mais il ne rapporte rien, il coûte ».

Or depuis un certain nombre d’années, les besoins en recyclage augmentent car la qualité des textiles baisse. Mais le tri manuel engendre beaucoup d’erreurs, d’autant que les étiquettes de composition sont souvent coupées quand elles ne contiennent pas des erreurs. Et comme 70 % du marché des fibres textiles contiennent une base de plastique, il faut faire appel à d’autres technologies pour mécaniser et automatiser le tri. La solution pourrait passer par des puces RFID dans les vêtements [lire l’encadré ci-dessous]. Laroche travaille sur un partenariat avec un industriel du tri automatique utilisant l’infrarouge et l’intelligence artificielle. Car il existe des matières non recyclables. Celles qui contiennent trop d’élasthanne, par exemple, bloquent les machines mécaniques et font chauffer les machines thermomécaniques.

Actuellement, le recyclage est essentiellement mécanique. Il permet de réaliser le broyage pour donner de la pulpe, l’effilochage pour les non-tissés, le découpage pour obtenir du tissu utilisé ensuite pour réaliser de l’essuyage industriel et le défibrage qui donneront des fibres pour la filature. Certains matériaux recyclés auront un usage en boucle fermée pour produire à nouveau des textiles et d’autres en boucle ouverte, notamment pour produire des plastiques, des composites, des matériaux pour le BTP… Le Relais possède une unité industrielle qui fait de l’effilochage et produit à partir de la fibre de coton des isolants thermo-acoustiques (Métisse).

Okaïdi et Decathlon aux avant-postes

Des expériences concrètes ont été menées par le Ceti notamment avec deux enseignes. Okaïdi, qui a sorti une première collection de 10 000 tee-shirts avec 60 % de coton recyclé en septembre 2020, et Decathlon [lire l’encadré]. « Nous avons travaillé avec d’autres marques, essentiellement dans le luxe, affirme Isabelle Cornu, la directrice marketing stratégique du Ceti. Ces groupes sont préoccupés par la loi anti-gaspillage, qui interdit la destruction des invendus. » Le projet Filière industrielle de recyclage des textiles (Firex) mené avec le Ceti, Synergie TLC pour la collecte et le tri, et Tissages de Charlieu, TDV Industries et Mapea pour l’industrie doit développer des démonstrateurs.

Aujourd’hui, l’utilisation de matières recyclées post-consommation pour la confection de nouveaux vêtements reste donc au stade des pilotes. À Biarritz (Pyrénées-Atlantiques) Hopaal utilise les chutes de production. « Nous confectionnons nos vêtements en France (80 % de la production) et au Portugal avec des matières recyclées », explique Pierrick Libossart, le porte-parole de la jeune pousse. En 2020, Hopaal a recyclé 5 tonnes de matières et va bientôt lancer une veste en jean « infinie », en partenariat avec 1083, qui sera consignée. Une solution pour récupérer les vêtements en fin de vie.

Decathlon lance la chasse durable

Solognac, la marque de chasse et de tir sportif de Decathlon, a lancé mi-juin un bermuda au design camouflage, mais surtout avec 30 % de coton recyclé dans le cadre du projet Rewind. « Pour démarrer, nous allons mettre en vente 850 pièces, indique Agnès Martin, la directrice technique de Solognac, à Cestas (Gironde). À terme, nous envisageons de développer cette production et d’augmenter la part du coton recyclé, sans que cela nuise à la qualité. Nous voulons des produits durables et résistants. »

En collaboration avec le Ceti, Laroche pour les machines, le filateur TDV Industries, l’Icam, Synergies TLC et Decathlon, le projet Rewind a été lancé en 2015. Financé par l’Ademe et la métropole européenne de Lille, il vise à la fabrication de vêtements neufs avec du coton recyclé issu de vêtements usagés collectés en France. Pour y parvenir, il a fallu régler différents problèmes techniques. « Les réglages sont souvent compliqués pour obtenir un bon mélange avec la fibre neuve », précise Grégory Montauban, le directeur commercial de Solognac.

La marque pense aussi à la fin de vie de ses bermudas. Il a intégré une puce RFID dans la ceinture, pour ne pas perdre la composition du vêtement. Si l’effilochage et la filature sont réalisés par TDV Industries à Laval (Mayenne), le nouveau modèle est assemblé dans l’usine marocaine de Decathlon.